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Chapitre 2 – Les différentes formes de conscience en psychologie

Psychologie et conscience

Une pluralité de consciences ?

Dans le chapitre précédent, nous avons commencé à explorer la conscience à partir de nos expériences personnelles. Nous allons à présent examiner comment les chercheurs contemporains ont structuré cette exploration, en identifiant différentes formes de conscience, chacune renvoyant à une facette particulière de notre vie mentale.

Le philosophe Ned Block (1991) a proposé une distinction devenue classique entre deux types majeurs de conscience : la conscience d’accès et la conscience phénoménale. À ces deux dimensions, d’autres auteurs ajoutent la conscience de contrôle et la conscience de soi, formant ainsi un cadre théorique en quatre volets.

La conscience d’accès : ce à quoi nous avons accès

La conscience d’accès désigne la capacité à mobiliser de l’information mentale pour raisonner, agir ou verbaliser ce que nous vivons.

Prenons un exemple simple : vous faites des mots croisés et vous réfléchissez à une anagramme. Vous pouvez verbaliser les lettres, proposer des combinaisons, réfléchir à haute voix. Ce processus démontre que vous avez un accès conscient à vos raisonnements. En revanche, si la solution vous vient soudainement sans que vous puissiez expliquer comment, cela révèle que l’accès conscient était limité ou indirect.

Dans ce cadre, les comptes rendus verbaux sont souvent utilisés comme indicateurs de l’accès à la conscience (Ericsson & Simon, 1980). Ils témoignent de notre capacité à prendre conscience de nos pensées, de nos émotions, ou de nos perceptions et à les utiliser activement.

Ainsi, la perception consciente implique une intégration entre informations sensorielles et connaissances stockées. Elle permet de reconnaître des objets, d’évaluer une situation, ou de communiquer une expérience. Être conscient d’un arbuste derrière une fenêtre, c’est pouvoir le nommer, en parler, et le situer dans un contexte.

La conscience phénoménale : ce que ça fait d’être soi

La conscience phénoménale renvoie à l’expérience subjective vécue, celle qui est difficilement traduisible en mots mais qui constitue le cœur de notre existence consciente.

Boire une tasse de café en est un bon exemple. On peut décrire son goût, sa température, sa texture… mais ces éléments objectifs ne suffisent pas à transmettre ce que cela fait de goûter un café. Cette distinction, essentielle, a été clarifiée par le philosophe Thomas Nagel dans son célèbre article What Is It Like to Be a Bat? (1974). Pour Nagel, un être est conscient s’il existe quelque chose que cela fait d’être cet être.

La conscience phénoménale désigne donc ce ressenti global, subjectif, immédiat – ce que la phénoménologie appelle parfois le “vécu”. Elle est à la fois centrale et insaisissable, ce qui en fait un défi pour toute tentative d’explication scientifique.

La conscience de contrôle : pilote intérieur ou veille automatique ?

La conscience de contrôle (ou “conscience pilote”) désigne notre capacité à superviser nos actions et états mentaux, à les ajuster, à les guider.

James Reason (1979) a mené des recherches fascinantes sur les erreurs quotidiennes qui révèlent un défaut de pilotage conscient. Il recense ainsi des anecdotes surprenantes :

« J’ai déballé un bonbon, mis le papier dans ma bouche… et jeté le bonbon. »

Ces erreurs proviennent souvent de l’automatisation excessive de nos comportements, nécessitant un retour temporaire du contrôle attentionnel conscient pour corriger la trajectoire.

Damasio (1999) illustre cette dimension avec des cas cliniques d’anosognosie, où le patient, bien qu’atteint d’un handicap manifeste (par exemple une paralysie), n’en a pas conscience. Le manque de supervision consciente entraîne alors une dissonance entre perception corporelle et état réel.

La conscience de soi : le Moi dans le temps

La conscience de soi repose sur la capacité à se représenter soi-même, ici et maintenant, mais aussi dans le passé et le futur. Elle implique l’usage du Moi comme objet de réflexion.

Des cas d’amnésie permettent de mieux comprendre cette forme de conscience. Ainsi, le célèbre patient HM, après une opération contre l’épilepsie, perdit la capacité à former de nouveaux souvenirs. Il restait bloqué à une époque antérieure, pensant encore que ses proches décédés étaient vivants (Carter, 1998). Son identité narrative s’était figée.

Un autre exemple frappant est celui de la patiente LB, atteinte d’asomatognosie. Bien qu’éveillée et lucide, elle déclarait :

« Je n’ai pas perdu le sens d’être… mais j’ai perdu mon corps. »

Elle illustre ici une dissociation entre le sentiment d’exister et le sentiment d’avoir un corps, soulignant les multiples couches de la conscience de soi.

Synthèse : un cadre à quatre dimensions

Ces quatre formes de conscience – accès, phénoménale, contrôle, soi – constituent un cadre cohérent pour explorer la richesse de l’expérience humaine. Elles permettent d’interpréter les cas évoqués dans le chapitre précédent :

  • Le somnambulisme illustre l’absence d’accès conscient et de conscience de soi, mais la présence d’un certain contrôle comportemental.

  • La vision aveugle témoigne d’un accès partiel à l’information sans conscience phénoménale.

  • L’amnésie traumatique perturbe surtout la conscience de soi, alors que les autres formes restent intactes.

Vers une théorie unifiée ?

Ce cadre théorique pose une question cruciale :

Une seule théorie de la conscience peut-elle expliquer ces différentes formes à la fois ?

À ce jour, la plupart des théories ne couvrent que certaines facettes de la conscience. Une théorie globale devra donc articuler ces différentes dimensions pour être véritablement satisfaisante. Ce sera l’objet des chapitres suivants, où nous explorerons les grandes approches cognitives, biologiques et philosophiques de la conscience.

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