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Chapitre 3 — Expliquer la conscience : perspectives croisées

Psychologie et conscience

Une approche multidisciplinaire indispensable

Comme nous l’avons vu dans l’introduction, les recherches contemporaines sur la conscience s’appuient sur des apports croisés issus de la psychologie cognitive, des neurosciences et de la philosophie. Chaque discipline formule des questions spécifiques et mobilise des méthodes distinctes pour y répondre.

  • La psychologie cognitive se concentre sur les processus mentaux comme systèmes de traitement de l’information : encodage, stockage, transformation, restitution.

  • La psychologie biologique s’intéresse à l’ancrage physique de ces processus dans le cerveau et le corps.

  • La philosophie questionne la validité des concepts utilisés et examine la cohérence logique des explications proposées.

Ces différentes approches se complètent et leurs frontières sont souvent poreuses. La diversité des journaux, colloques et institutions traitant de la conscience reflète la richesse et la complexité du sujet.

Nous allons ici présenter deux modèles théoriques majeurs, issus respectivement de la psychologie cognitive (Bernard Baars) et des neurosciences (Antonio Damasio), afin d’illustrer comment ces disciplines tentent d’expliquer les mìanismes de la conscience.

La théorie de l’espace de travail global (Bernard Baars)

Baars (1988) propose une métaphore centrale : la conscience fonctionne comme un espace de travail global. Ce modèle décrit une architecture mentale dans laquelle des “processeurs spécialisés” (perception, langage, mémoire…) travaillent en parallèle et de manière non consciente. Lorsque certaines informations sont jugées pertinentes, elles sont projetées dans un espace de travail commun, la conscience.

Les éléments-clés du modèle

  • Processeurs d’entrée : non conscients, parallèles, chacun spécialisé dans un domaine (visuel, auditif, linguistique, etc.).

  • Espace de travail global : mémoire à court terme partagée, où l’information devient consciente.

  • Processeurs de sortie : utilisent l’information consciente pour guider des actions ou des raisonnements.

Propriétés de la conscience dans ce modèle

  • Capacité limitée : seules quelques informations peuvent être conscientes simultanément.

  • Séquentialité : la conscience traite les informations une à une, contrairement aux processus non conscients parallèles.

  • Cohérence : la conscience ne tolère pas les contradictions perceptuelles.

  • Polyvalence : la conscience peut traiter tout type d’information (visuelle, mémorielle, conceptuelle…).

Cette théorie explique efficacement les fonctions d’accès à la conscience, de pilotage des comportements complexes et, dans une moindre mesure, la conscience de soi. En revanche, elle ne répond pas directement à la question de la conscience phénoménale (le « ressenti » subjectif).

La théorie biologique de la conscience (Antonio Damasio)

Damasio (1999) propose une vision ancrée dans la biologie de l’organisme. Il distingue trois niveaux de soi qui s’articulent pour faire émerger la conscience.

Les trois niveaux du soi

  1. Proto-soi : état corporel stable, non conscient, fondé sur les représentations neuronales du corps. Il assure l’homéostasie et la stabilité de l’identité physique.

  2. Soi central (ou conscience principale) : naît de la mise en relation dynamique entre les représentations du corps et celles du monde extérieur. C’est la base de l’expérience consciente ici et maintenant.

  3. Soi autobiographique (ou conscience étendue) : intègre les souvenirs, les projets, les émotions complexes, et permet la construction d’une identité sur le long terme.

Un modèle dynamique

Quand un objet (ex. : une balle) est perçu, il produit des changements corporels (tension musculaire, activation sensorielle…). Ces modifications sont capturées par le proto-soi. La conscience principale naît alors de la représentation de la relation entre l’objet perçu et les modifications corporelles. La conscience étendue survient quand cette interaction est contextualisée par l’histoire du sujet.

Forces et limites du modèle

  • Il offre une explication cohérente de la conscience de soi, des troubles neurologiques (anosognosie, amnésie, asomatognosie), et du flux de conscience (James).

  • Il s’appuie sur des données empiriques solides (IRM, observations cliniques).

  • Mais il n’explique pas comment le ressenti subjectif émerge de représentations neuronales. Comme Baars, Damasio laisse le problème de la conscience phénoménale entier.

Vers une théorie intégrative ?

Ces modèles illustrent la richesse des approches contemporaines. La théorie de l’espace de travail explique bien l’accès à la conscience, la coordination cognitive, et certaines formes de conscience de soi. Celle de Damasio offre une explication plus corporelle et biographique, intégrant les émotions, la mémoire, et la continuité identitaire.

Mais toutes deux peinent à répondre à la question fondamentale :

Comment une activité neuronale, aussi sophistiquée soit-elle, produit-elle un ressenti subjectif ?

Ce que certains appellent le « problème difficile » de la conscience (Chalmers, 1995) reste donc entier. Le prochain chapitre abordera les tentatives philosophiques pour y répondre.

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