Le terme « mondialisation » est aujourd’hui omniprésent : il sert tantôt à expliquer les difficultés économiques contemporaines, tantôt à célébrer les avancées en matière de communication. Mais derrière ce mot se cachent de profondes transformations. Cochrane et Pain en identifient quatre principales :
l’extension des relations sociales à l’échelle mondiale,
l’intensification des flux,
l’interpénétration des pratiques sociales et économiques,
et l’émergence d’une infrastructure institutionnelle mondiale.
Trois grandes perspectives permettent d’interroger la mondialisation : les globalistes, les inter-nationalistes, et les transformationnalistes. Examinons leurs apports et leurs limites, en particulier du point de vue politique.
La vision globaliste : la mondialisation comme fait nouveau et irréversible
Les globalistes considèrent la mondialisation comme un phénomène inédit et inéluctable, qui échappe au contrôle des institutions traditionnelles comme les États-nations.
Leurs arguments politiques :
Les migrations massives depuis les années 1950 ont créé des diasporas influentes, modifiant les relations diplomatiques, comme dans le cas des communautés chinoises en Afrique.
Les enjeux globaux, comme l’environnement, montrent que les décisions nationales ont désormais des répercussions planétaires (ex. : Tchernobyl).
L’essor des organisations internationales, notamment les agences de l’ONU ou l’Union européenne, empiète sur la souveraineté étatique.
La diffusion mondiale de l’information et des modèles culturels, via les technologies et les multinationales, réduit la marge d’action des États.
La position inter-nationaliste : la continuité du pouvoir des États-nations
À l’opposé, les inter-nationalistes estiment que les États conservent leur primauté politique, malgré les mutations actuelles.
Leurs arguments :
L’histoire des migrations montre qu’elles ne sont pas nouvelles : elles ont toujours accompagné les conquêtes, les famines, ou la curiosité humaine.
Les États utilisent les organisations internationales comme arènes de négociation de leurs intérêts nationaux.
La théorie de la gouvernance hégémonique, avec l’exemple de la gestion de la crise asiatique par les États-Unis en 1997-98, illustre comment les grandes puissances imposent leurs règles.
Le système westphalien reste dominant : les États gardent l’autorité sur leur territoire, leurs ressources et leur population, y compris à l’échelle régionale ou mondiale.
L’approche transformationnaliste : vers une redéfinition du pouvoir politique
Les transformationnalistes adoptent une position plus nuancée et plus réaliste. Pour eux, le pouvoir politique change de nature, sans pour autant disparaître.
Leurs analyses :
Le pouvoir devient multi-niveaux : il se répartit entre structures supranationales (ONU, UE, G8), infranationales (villes comme Glasgow ou Coventry), et transnationales (ONG comme Amnesty International ou Greenpeace).
La transnationalisation des activités politiques, notamment via les ONG, s’accélère. On est passé de quelques centaines d’ONG internationales au début du XXe siècle à plus de 5 000 au XXIe siècle.
Le pouvoir des ONG se manifeste à travers des campagnes mondiales, comme celle contre l’AMI, montrant l’émergence d’une société civile globale.
Les transformationnalistes reprochent aux deux autres approches leur déterminisme : les globalistes négligent le rôle des acteurs, les inter-nationalistes sous-estiment les changements en cours. Ils insistent sur l’importance des agents du changement, capables de façonner la politique mondiale.
Une gouvernance en mutation : de l’anarchie à l’hétérarchie
Nous assistons à un glissement progressif d’un monde anarchique — sans autorité au-dessus des États — vers une hétérarchie, où le pouvoir est partagé entre plusieurs niveaux et acteurs.
Ce système complexe rend difficile la mesure des risques systémiques, comme l’ont montré les crises multidimensionnelles depuis 1998 : financières, sociales, environnementales.
Le changement n’est pas en soi une nouveauté dans l’histoire humaine. Mais la manière dont le pouvoir politique évolue aujourd’hui est profondément marquée par la mondialisation des structures et des acteurs.
Conclusion : mondialisation, changement et incertitude
Alors, la mondialisation est-elle nouvelle et inévitable ?
La réponse dépend de l’angle adopté. Ce qui est certain, c’est que le pouvoir politique se redéfinit, que les acteurs se multiplient, et que l’issue reste incertaine.
Mais ce processus de transformation est bel et bien en cours — et c’est ce qui en fait un objet d’étude si crucial pour penser l’avenir du politique.
Références
McGrew, A. (2004). Power Shift: From National Government to Global Governance. In Held, D. (Ed.), A Globalizing World? Culture, Economics, Politics, London: Routledge/Open University.
Cochrane, A. & Pain, K. (2004). A Globalizing Society? In Held, D. (Ed.), A Globalizing World?, London: Routledge/Open University.