Le mot « spiritualité » fait-il peur au monde de l’entreprise ?
Certain·e·s ami·e·s consultant·e·s me disent que le mot spiritualité effraie encore dans les organisations. Faut-il, pour autant, craindre ce sentiment d’être relié à soi-même, aux autres, ou même à une dimension plus vaste, à l’univers ? Si le terme déstabilise, peut-être est-ce qu’il est mal compris. Appelons-le autrement : interconnexion, cohérence intérieure, conscience élargie. Mais ne renonçons pas à ce qu’il désigne.
Qu’est-ce que la spiritualité ?
La spiritualité, telle que je la conçois, n’est pas un concept abstrait. Elle est une manière d’être, une manière d’agir, un rapport au monde. Elle aide à trouver sa place – que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle – car notre personnalité profonde ne change pas selon les contextes.
L’image du tableau de L’échelle de Jacob peint par Chagall me vient à l’esprit : une descente en soi, dans ses émotions et pensées, reliée à une source d’inspiration, de créativité, d’intuition – une source qui nous guide vers notre légitimité.
Par opposition à la religion, de nature collective et morale, la spiritualité est personnelle, éthique, intérieure. Elle ne requiert pas d’adhésion à une foi. Il suffit de se relier à soi et à ce qui nous entoure pour percevoir où nous en sommes sur notre chemin.
Spiritualité et entreprise
Dans les entreprises, on ne parle pas de spiritualité… mais de vision stratégique, de valeurs fondatrices, de raison d’être. Les dirigeants inspirants ne revendiquent pas une appartenance religieuse ; mais leur vision s’ancre dans une conscience plus vaste de leur rôle, de leur responsabilité, de leur impact.
Aujourd’hui, dans un monde instable, fragmenté, incertain, la spiritualité doit investir le champ du management. Une organisation ne peut survivre sans donner du sens à ce qu’elle est, à ce qu’elle fait, à ce qu’elle propose à ses collaborateurs comme à ses clients.
Sans cette conscience, les équipes perdent leur motivation, leur élan, leur sentiment de contribution. Et une entreprise, comme un individu, s’effondre quand elle ne sait plus pourquoi elle agit.
Un nouveau type d’intelligence pour un nouveau leadership
Depuis quelques décennies, notre compréhension des formes d’intelligence a évolué :
Du QI (quotient intellectuel), longtemps valorisé dans les écoles,
Au QE (quotient émotionnel), mis en lumière par Daniel Goleman en 1996,
Puis au QS (quotient spirituel), introduit par Danah Zohar en 2000.
Alors que les ordinateurs possèdent une forme de QI, et les animaux une intelligence émotionnelle, seuls les humains développent une intelligence spirituelle. Elle ne se réduit pas à la religion ; elle touche à :
La conscience de soi,
L’idéalisme et les valeurs,
Le courage, la résilience, l’intuition,
L’écoute, la curiosité, la capacité à donner du sens.
Cette intelligence là est indispensable au leadership inspiré et inspirant.
Intégrer la spiritualité dans le leadership
Diriger, c’est planifier, organiser, gérer, évaluer. C’est aussi prendre des décisions souvent complexes, parfois solitaires. Chaque décision impacte les résultats, mais aussi la culture et l’équilibre humain de l’organisation.
C’est là que l’intelligence spirituelle devient centrale. Elle permet non seulement de discerner la bonne décision, mais surtout d’aligner la décision avec les valeurs de l’organisation, et d’en faciliter l’adhésion.
Un leader inspiré ne se contente pas d’agir selon des indicateurs : il écoute, il ressent, il ose. Il laisse parler son intuition, affine sa perception de ce qui est juste — pour lui, pour les autres, pour l’ensemble. Il transcende ses peurs et ses blessures et Il agit en co-intelligence avec son environnement.
L’intelligence spirituelle comme catalyseur d’engagement
Le vrai pouvoir d’un leader ne repose pas sur la coercition, mais sur sa capacité à faire émerger le sens. Dans l’entreprise, le coût d’une non-adhésion est toujours élevé. Car chaque collaborateur a un besoin fondamental : celui de se sentir relié à quelque chose qui le dépasse, qui l’élève, qui l’inspire.
C’est ce que Maslow appelait le besoin d’appartenance, repris ensuite par Baumeister et Leary comme un fondement psychologique universel. Ce besoin ne peut être comblé que si la décision du leader résonne avec la conscience spirituelle des individus.
Un leadership fondé sur l’intelligence spirituelle ne cherche pas l’obéissance, mais l’adhésion. Il ne vise pas le court terme, mais l’excellence organisationnelle durable.
Un modèle de leadership pour demain
Des auteurs comme Otto Scharmer (Theory U) ou Joseph Jaworski (Source) ont décrit ce processus intérieur, cette capacité à écouter, à ressentir, à co-créer. Mais ce chemin n’est pas réservé à quelques élus. Chaque leader peut cultiver cette posture. À condition de :
Créer un cadre de confiance,
Favoriser la créativité et la reliance,
Laisser la peur du contrôle céder la place à la puissance de l’éveil.
Conclusion : Oser un leadership incarné
L’intelligence spirituelle n’est pas une option douce ou accessoire : elle est la colonne vertébrale d’un leadership incarné, aligné, transformateur.
Elle donne au manager la capacité :
d’écouter vraiment,
de décider en conscience,
de créer un environnement propice à l’engagement et à l’innovation.
Et surtout, elle donne au collectif l’élan de se dépasser — ensemble.