La croissance économique mondiale, mesurée par le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant, a connu une progression rapide depuis la Révolution industrielle.
Et pourtant, la pauvreté persiste.
Le rapport de la Banque mondiale Global Economic Prospects (2007) prévoit qu’en 2030, le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour sera réduit de moitié, pour atteindre environ 550 millions. Toutefois, le rapport souligne que l’Afrique aura du mal à suivre le rythme du reste du monde en développement. Même si les conditions s’améliorent en valeur absolue, l’Afrique comptera une part plus importante des personnes les plus pauvres de la planète. Pourtant, la croissance économique en Afrique s’est accélérée après l’an 2000.
Comment expliquer cette situation ?
Si la croissance économique durable constitue une condition nécessaire à la réduction de la pauvreté (Partie 1), elle n’est pas suffisante en elle-même (Partie 2). Des politiques complémentaires doivent être mises en œuvre. Enfin, la Partie 3 portera sur le rôle de l’OCDE dans ce contexte.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de clarifier le cadre d’analyse dans lequel cette note s’inscrit.
Contexte et définitions
Définition de la pauvreté
La pauvreté est généralement considérée comme un phénomène multidimensionnel. Sa dimension économique est la plus souvent prise en compte, et elle peut être décomposée en quatre formes :
Monétaire,
Conditions de vie (illettrisme, santé précaire, malnutrition, logement…),
Capacités (manque de moyens pour sortir de la pauvreté),
Pauvreté humaine, mesurée par les indices HPI du PNUD, qui prennent aussi en compte les dimensions culturelles, sociales, politiques et ethniques. Deux indices existent : un pour les pays en développement, un autre pour les pays de l’OCDE.
Dans le cadre de cette note, on privilégiera la dimension matérielle de la pauvreté, sans l’isoler complètement des autres. On ne peut pas définir une stratégie efficace de croissance rapide et équitable sans renforcer les capacités des pauvres (via l’éducation et la santé) et réduire leur vulnérabilité aux chocs économiques. L’autonomisation est également partiellement abordée, notamment à travers les approches participatives dans la gestion des politiques et des programmes.
On s’appuiera donc sur la mesure de la pauvreté par le HPI, et la réflexion sur les solutions (partie 2) sera centrée sur les pays en développement.
Développement économique durable
Le développement durable repose généralement sur trois dimensions indissociables :
Économique,
Environnementale,
Sociale.
Ces trois piliers se rejoignent au cœur du concept. Cependant, cette approche fait l’objet de débats et de critiques, émanant soit des écologistes (qui mettent en doute la continuité des ressources), soit des pays pauvres (qui contestent les exigences en matière de pollution). Cette note n’a pas vocation à répondre à tous ces arguments, mais à proposer des pistes d’analyse.
Partie 1 – La croissance économique durable : une condition nécessaire à la réduction de la pauvreté
1.1. Un lien fort entre croissance et pauvreté monétaire
La qualité et la disponibilité des données internationales sur la répartition des revenus et la pauvreté se sont considérablement améliorées au cours des cinq dernières années. Ces données montrent un lien fort entre la croissance du PIB et la réduction de la pauvreté. Inversement, une stagnation ou une baisse du PIB par habitant s’accompagne souvent d’une hausse de la pauvreté.
Comme mentionné, le PIB mondial par habitant a augmenté de manière continue et rapide au cours du dernier siècle. Dans le même temps, la pauvreté a diminué.
Par exemple :
La proportion de la population du monde en développement vivant avec moins d’un dollar par jour (selon la Banque mondiale) est passée de 28 % en 1990 à 21 % en 2001.
Sur la période 1981-2001, cette proportion a été divisée par deux.
Les données de la Banque mondiale indiquent également une baisse dans toutes les régions du monde depuis 1999 :
Région | 1990 | 2002 | 2004 |
---|---|---|---|
Asie de l’Est et Pacifique | 15,4 % | 12,3 % | 9,1 % |
Europe et Asie Centrale | 3,6 % | 1,3 % | 0,95 % |
Amérique latine et Caraïbes | 9,6 % | 9,1 % | 8,6 % |
Moyen-Orient et Afrique N. | 2,1 % | 1,7 % | 1,5 % |
Asie du Sud | 35 % | 33,4 % | 30,8 % |
Afrique subsaharienne | 46,1 % | 42,6 % | 41,1 % |
Les études concluent régulièrement à un rapport de 1 pour 1 à 1 pour 4 entre la croissance du revenu par habitant et la baisse de la pauvreté monétaire.
1.2. Une situation contrastée selon les régions
Les disparités entre régions sont marquées :
L’amélioration est notable en Asie de l’Est et du Sud. En Asie de l’Est, le taux de pauvreté à 2 dollars par jour est passé de 69 % en 1990 à 27 % en 2006.
En Afrique subsaharienne, le PIB par habitant a chuté de 14 % entre 1981 et 2001, et la pauvreté extrême a augmenté de 41 % à 46 %, soit une hausse de 231 à 318 millions de personnes.
Les économies en transition (Europe, Asie centrale) ont connu une forte récession au début des années 1990, suivie d’une amélioration progressive.
Conclusion : la croissance ne garantit pas automatiquement une réduction équitable de la pauvreté. Quelles sont alors les conditions nécessaires pour que ce lien fonctionne ?
Partie 2 – Les conditions du lien entre croissance et réduction de la pauvreté
2.1. L’analyse des paramètres macroéconomiques
La pauvreté résulte de facteurs multiples, spécifiques à chaque pays. Il n’existe donc aucune solution universelle, et une analyse contextuelle est indispensable.
Parmi les principaux déterminants de la croissance, on distingue :
Le taux d’investissement (rapport investissement/PIB),
La productivité de l’investissement,
La croissance démographique (exemple : Chine),
Le capital humain (éducation, santé).
Selon le modèle Harrod-Domar, le taux d’investissement dépend de l’épargne intérieure et extérieure, et des attentes en matière de rentabilité. La productivité repose sur l’efficacité sectorielle des investissements.
Le modèle de Solow-Swan complète cette approche avec :
La croissance de la population active,
L’investissement dans le capital humain.
Une politique d’investissement bien ciblée peut donc faire le lien entre croissance et réduction de la pauvreté.
2.2. Le rôle des politiques publiques
De nombreuses recherches ont identifié les facteurs clés de croissance durable, liés aux politiques publiques :
Paix et stabilité politique,
Bonne gestion macroéconomique,
Investissements en éducation et santé,
Développement des infrastructures,
Ouverture commerciale (surtout à l’exportation),
Institutions fiables,
Développement des marchés financiers.
Une croissance inclusive doit permettre aux plus pauvres de :
Participer à la croissance,
Contribuer à l’économie,
En tirer un bénéfice direct.
Cela implique :
Plus d’investissement dans les infrastructures pour le développement local,
Un appui aux secteurs durables à fort impact social (PME rurales, microfinance),
Une coopération régionale renforcée,
Des politiques claires de redistribution (revenu, terres, eau, éducation, santé),
Un respect des équilibres écologiques,
Une égalité hommes/femmes réelle et durable.
Ces principes sont issus de décennies de réflexion et d’expérimentation, depuis que les économistes ont compris dans les années 1970 que la croissance n’était pas toujours synonyme de réduction de la pauvreté. L’OCDE joue un rôle central dans cette évolution.
Conclusion
La croissance économique durable est une condition nécessaire, mais non suffisante pour réduire durablement la pauvreté.
Seule une combinaison de politiques inclusives, contextuelles et coordonnées permettra de transformer la croissance en progrès humain. Aujourd’hui, trop de divergences entre agences de développement nuisent à l’efficacité de l’aide. La duplication des canaux, l’oubli des coûts institutionnels et l’absence de coordination affaiblissent les résultats à long terme.
Seule une coopération renforcée, transparente et ancrée dans le réel permettra de faire de la croissance un véritable levier de lutte contre la pauvreté.