Une scène apparemment banale… en surface
Il y a quelque temps, j’assistais, en tant que conseillère en organisation, à une session de travail réunissant des managers au sein d’une organisation multilatérale. Comme souvent dans ce type de structure — Nations Unies, agences spécialisées, Commission européenne —, les nationalités étaient variées, le langage mesuré, les échanges feutrés.
Mais sous cette façade civilisée, les corps parlaient autrement : postures crispées, regards évités, silences pesants. Derrière les mots, je percevais des tensions invisibles, perceptibles uniquement à travers une écoute fine, sensible.
Un processus décisionnel faussement collectif
Le sujet du jour : l’augmentation salariale de certains employés. Rapidement, il est apparu que les décisions reposaient sur des critères non formalisés :
amabilité,
loyauté au supérieur,
obéissance.
Le directeur des ressources humaines présenta quelques documents creux, sans consistance. Puis, après un échange purement formel, le Directeur trancha. Trois personnes décidèrent : le Directeur, le RH, et un manager. Les autres n’étaient là que pour valider une décision déjà prise.
Quand l’aide au développement masque un pouvoir autoritaire
Ce type de fonctionnement est fréquent dans les grandes institutions internationales. Bien qu’elles œuvrent pour le développement humain, leur style managérial reste fortement hiérarchique. Une forme de paradoxe institutionnalisé.
Les personnes présentes semblaient motivées par des besoins fondamentaux — besoins de sécurité et de pouvoir, au sens de la pyramide de Maslow. Personne n’osa poser de question. La peur agit comme un virus invisible, mais dévastateur.
Valeurs dominantes : affirmation de soi et conformité
À la lumière de la théorie des valeurs de Schwartz, les dynamiques en jeu se clarifient :
Au niveau individuel : des valeurs d’affirmation de soi, de pouvoir et de réussite.
Au niveau organisationnel : des valeurs de conformité, sécurité, et tradition (valeurs de continuité).
Les différences culturelles (nord-américaine, africaine, européenne) influençaient sans doute les postures, mais au fond, ce qui manquait cruellement, c’était la conscience.Manque de conscience, perte d’énergie collective
À court terme, ces managers ont pu renforcer leur pouvoir personnel. Mais à moyen terme, le coût collectif fut élevé : démotivation, désengagement, perte d’élan. En sapant le lien entre l’individuel et le collectif, ils ont fragilisé l’ensemble du système.
Un système privé de sens, d’équité et d’équilibre finit toujours par entrer en crise.
Vers un management plus conscient
La vraie question est là :
Comment développer la conscience de soi et des systèmes dans lesquels nous évoluons ?
Comment dépasser les automatismes de pouvoir pour s’ouvrir à une dynamique de transformation ?
Ces organisations, malgré leur mandat humaniste, accusent un retard criant en matière de réflexion managériale. Le changement ne survient souvent que sous la contrainte, jamais par conviction.
Des outils classiques peu adaptés aux enjeux institutionnels
Coaching, PNL, intelligence émotionnelle… Ces approches apportent parfois un éclairage utile, mais demeurent souvent insuffisantes dans un contexte multiculturel, politique et institutionnalisé.
Car il ne s’agit pas simplement de techniques. Ce qu’il faut, c’est un véritable chemin de conscience. Une transformation des regards, des postures, des intentions.
Surmonter la peur, construire la confiance
Pour évoluer d’un management fondé sur le contrôle vers un leadership d’ouverture et de transformation, il faut :
Apprivoiser la peur,
Pacifier l’anxiété,
Donner du temps au temps.
Expliquer. Montrer. Incarner.
La confiance ne se décrète pas. Elle se cultive, lentement mais sûrement.
En conclusion
Ce que révèle cette scène « banale », c’est l’écart entre le discours humaniste de certaines institutions et leurs pratiques profondément conservatrices. Pour en sortir, un changement technique ne suffira pas : c’est une bascule culturelle et intérieure qui s’impose. Et cela commence par une question simple et redoutable :
Suis-je capable, en tant que manager, de regarder au-delà des apparences ?