Accueil » Blog » Chapitre 1 Penser à la conscience

Chapitre 1 Penser à la conscience

Psychologie et conscience

Explorer notre propre conscience

La meilleure façon d’aborder la conscience est peut-être de commencer par observer… notre propre conscience.
Activité : Prenez quelques minutes pour décrire ce que vous vivez consciemment à l’instant présent. Que percevez-vous ? À quoi pensez-vous ? Que ressentez-vous ?

Cet exercice peut paraître simple, mais il révèle vite ses limites. Si nous sommes tous familiers avec l’expérience d’être conscients, il est étonnamment difficile de mettre en mots cette expérience. En général, nous décrivons les objets autour de nous ou nos pensées du moment. Pourtant, ce que nous exprimons est déjà un souvenir immédiat, et non l’expérience elle-même.

Cela nous conduit à une première tension fondamentale : la conscience semble inséparable du présent, mais ne peut être décrite qu’a posteriori. Elle est donc intimement liée à la mémoire, mais aussi à notre capacité à nous représenter l’instant vécu.

Conscience : contenu et processus

Une autre difficulté surgit quand nous confondons les contenus de la conscience (ce dont nous sommes conscients) et le processus de conscientisation (le mécanisme par lequel quelque chose devient conscient).

De la même manière que décrire les objets perçus ne suffit pas à expliquer la vision, décrire nos pensées ou nos perceptions ne suffit pas à expliquer la conscience. Pour étudier la conscience, il faut se détacher des objets perçus pour s’intéresser au processus même qui rend ces objets « présents à l’esprit ».

Le rôle du langage

Le langage est un outil imparfait pour décrire nos états conscients. Certaines expériences échappent à la verbalisation. La théorie de Sapir-Whorf suggère même que notre langage influence — voire détermine — nos pensées et nos expériences conscientes.

Exemple : un locuteur aborigène Pintupi, dont le vocabulaire inclut un mot très spécifique pour désigner un terrier creusé par un varan, pourra nommer et rapporter cette réalité avec bien plus de richesse qu’un francophone. Ainsi, nos ressources linguistiques façonnent nos capacités à nommer — et donc à structurer — nos vécus conscients.

Conscience et autres processus psychologiques

Dans la plupart des cas, la conscience s’exprime à travers des processus comme la vision, l’audition, le langage ou la pensée. Cela soulève une question essentielle :

La conscience est-elle réductible à ces processus, ou est-elle autre chose ?Prenons un exemple simple : je suis conscient d’une plante verte posée sur mon bureau. Cette conscience me permet de l’identifier, d’y réfléchir, de la déplacer, ou d’en parler. Mais cette capacité suppose-t-elle simplement l’activation de fonctions perceptives, ou existe-t-il un niveau supérieur — une instance consciente — qui rend cela possible ?

Études de cas : conscience, absence de conscience, ou états intermédiaires ?

Somnambulisme et automatisme

Le somnambulisme interroge la frontière entre conscience et automatisme. Le cas célèbre de Ken Parkes, au Canada dans les années 1980, montre qu’un individu peut accomplir une série d’actions complexes sans souvenir conscient — voire en état d’automatisme — et que la justice elle-même reconnaît ces états comme dépourvus d’intention consciente.

Ce cas illustre l’importance de la conscience dans la définition de la responsabilité morale et juridique. Sans conscience, peut-on parler d’intention ? Et sans intention, peut-on punir ?

Héminégligence et conscience partielle

La négligence visuelle (souvent liée à une lésion cérébrale) montre qu’un patient peut ignorer une partie de son champ visuel — mais que son cerveau continue à traiter inconsciemment les informations. Ainsi, une patiente peut préférer inconsciemment une maison non en flammes à une maison en feu, alors qu’elle affirme ne pas voir la différence. Cela montre que l’information peut être traitée sans être consciente.

Vision aveugle : percevoir sans savoir qu’on perçoit

La vision aveugle (ou vision implicite) est encore plus intrigante. Les patients ayant subi des lésions au cortex visuel primaire peuvent détecter ou réagir à des stimuli visuels sans en avoir aucune conscience subjective. Ils « voient » sans savoir qu’ils voient.

Ces phénomènes soulignent que la perception peut exister sans conscience. Cela renforce l’idée que la conscience est un processus distinct, et non simplement un effet secondaire de la perception ou de l’attention.

Amnésie traumatique et conscience du moi

Les troubles de la mémoire consécutifs à un traumatisme crânien, comme le cas rapporté par Antonio Damasio, montrent que la conscience peut se fragmenter : certains patients passent de la non-conscience à une forme de conscience environnementale, avant de retrouver le sens du moi. Ces observations confirment qu’il n’existe pas une conscience, mais plusieurs niveaux ou formes de conscience.

Le vocabulaire de la conscience : un problème de terminologie

Tout au long de ce chapitre, nous avons utilisé des termes variés : perception consciente, non-conscience, conscience de soi, prise de conscience… Cette diversité sémantique reflète une réalité plurielle, mais aussi une difficulté scientifique majeure : le manque d’un langage théorique unifié.

En effet :

  • un même mot peut désigner plusieurs processus différents ;

  • des mots différents peuvent désigner un seul et même phénomène.

Cela complique l’élaboration d’une théorie générale de la conscience. La plupart des approches actuelles ne décrivent qu’un aspect de la conscience, sans en rendre compte dans sa globalité.

Regards historiques : Descartes et le dualisme

La pensée moderne sur la conscience prend racine chez René Descartes, avec sa fameuse méthode du doute :

« Je pense, donc je suis. »

En distinguant le corps (matière) de l’esprit (pensée), Descartes pose les bases du dualisme, encore aujourd’hui au cœur des débats. Comment une réalité physique comme le cerveau peut-elle engendrer une expérience aussi immatérielle qu’un sentiment ?

Les scientifiques matérialistes supposent que tout peut être expliqué par des phénomènes physiques. Les dualistes estiment, au contraire, que la conscience transcende la matière. Entre ces deux pôles, la psychologie contemporaine tente de construire un pont.

Le défi du réductionnisme

Si tout pouvait être réduit à l’activité cérébrale, la psychologie perdrait sa raison d’être. Dire qu’une personne aime ou souffre ne peut se réduire à l’affirmation que « son cerveau est dans tel état ». Les qualités subjectives de l’expérience (les qualia) échappent à la seule observation neuronale.

C’est cette tension entre matière et esprit, entre objectivité et subjectivité, qui rend la conscience si difficile à cerner. Et c’est aussi ce qui fait de son étude une aventure intellectuelle fascinante.

Conclusion : un mystère productif

La conscience ne se laisse pas enfermer dans une définition simple. Elle se situe à l’intersection de la mémoire, de la perception, de la pensée, de l’attention… mais elle ne se résume à aucun de ces éléments. Étudier la conscience, c’est interroger notre humanité. C’est aussi accepter de naviguer entre science et philosophie, entre observation empirique et introspection.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

<
fr_FRFR
Retour en haut