Résumé
La question de l’identité constitue un champ central en psychologie. À travers une synthèse critique, cet article explore deux approches majeures de l’identité : la théorie psychosociale d’Erik Erikson, approfondie par James Marcia, et l’approche constructiviste sociale. Ces perspectives permettent d’éclairer la façon dont les individus construisent leur sentiment d’identité, soit à travers des processus internes et développementaux, soit via l’interaction sociale, le langage et les dynamiques de pouvoir. L’analyse met en évidence les convergences et divergences entre les deux cadres théoriques, ainsi que leur apport à la compréhension des comportements humains.
Introduction
La compréhension de l’identité est un enjeu fondamental de la psychologie. Elle vise à expliquer comment les individus construisent leur perception d’eux-mêmes et comment cela influence leurs comportements. Parmi les premiers penseurs s’étant penchés sur cette question, William James (1890) figure en bonne place. Depuis, de nombreuses théories ont vu le jour. Trois d’entre elles sont particulièrement influentes : la théorie psychosociale, la théorie de l’identité sociale et l’approche constructiviste sociale. Cet article se concentre sur la théorie psychosociale et sur l’approche constructiviste afin d’en analyser les fondements, les apports et les limites.
L’approche psychosociale de l’identité
Fondements théoriques
Erik Erikson est le principal représentant de cette approche. Pour lui, l’identité repose sur une identité centrale stable et cohérente dans le temps, offrant à l’individu un sentiment d’appartenance et de continuité (Phoenix, 2007). Le développement identitaire s’opère tout au long de la vie, selon huit stades psychosociaux, chacun marqué par une crise normative que l’individu doit résoudre en interaction avec la société.
L’adolescence est une phase clé : l’individu y devient conscient de lui-même à travers une crise du moi (ego crisis). Cette période, qualifiée de moratoire psychosocial, permet d’explorer différents rôles avant de s’engager dans une trajectoire identitaire définie. Ce processus est essentiel pour atteindre un équilibre psychologique durable.
Apports empiriques
James Marcia (1966, 1980, 1994) a enrichi cette théorie en introduisant une méthodologie fondée sur des entretiens semi-directifs auprès de jeunes adultes. Il identifie quatre statuts identitaires selon le degré d’exploration et d’engagement : diffusion, moratoire, forclusion, et réalisation de l’identité. Ce modèle a permis de mieux comprendre la diversité des parcours identitaires à l’adolescence et chez les jeunes adultes.
L’approche constructiviste sociale de l’identité
Principes fondateurs
Contrairement à l’approche psychosociale, l’approche constructiviste sociale affirme que l’identité est produite à travers les interactions sociales et façonnée par le langage. Le langage ne se contente pas de traduire l’expérience ; il structure la réalité et les catégories sociales. Ainsi, une même personne peut être perçue différemment selon les groupes sociaux : terroriste ou libérateur, comme l’exemple de Nelson Mandela le montre.
L’individu existe parce qu’il est reconnu par les autres. L’identité est donc dynamique, multiple, et dépend du contexte social et historique. Il n’y a pas de distinction entre identité personnelle et identité sociale : l’identité est une ressource mobilisable selon les groupes auxquels on souhaite appartenir. La construction identitaire est également traversée par des rapports de pouvoir, et certains rôles peuvent être imposés à l’individu, indépendamment de sa volonté.
Implications théoriques
Cette approche souligne que les choix identitaires ne sont pas toujours libres : ils dépendent des représentations collectives et des normes dominantes. Stuart Hall (1996) affirme même que l’on peut reconstruire le passé pour qu’il corresponde à l’identité que l’on souhaite adopter. Ainsi, l’identité est un processus en constante recomposition, influencé par les interactions, le discours, et les institutions.
Comparaison des deux approches
Les deux théories se situent à des pôles opposés :
Aspect | Théorie psychosociale | Approche constructiviste |
---|---|---|
Origine du changement | Interne (développement personnel, crises) | Externe (interactions sociales, discours) |
Nature de l’identité | Stable, unifiée | Multiple, contextuelle |
Méthodologie | Approche développementale, entretiens | Analyse du langage, études de cas culturelles |
Temporalité | Évolution par stades | Recomposition permanente |
Toutefois, elles partagent plusieurs points communs :
L’identité est un processus évolutif ;
Elle est socialement et historiquement située ;
Les interactions sociales jouent un rôle central, bien que leur interprétation diffère.
Par exemple, dans un contexte de guerre, un soldat peut redéfinir son identité face à la menace (crise identitaire chez Erikson), tandis que pour le constructiviste, l’identité du bon soldat est socialement définie et sujette à variation selon les époques.
Contributions à la psychologie
Ces deux approches ont largement contribué à la recherche psychologique :
La théorie psychosociale éclaire le développement identitaire des adolescents et la santé mentale.
L’approche constructiviste souligne l’importance des dynamiques sociales et du langage dans la formation des identités multiples.
Elles permettent de mieux comprendre la diversité des parcours individuels, les tensions entre rôles, et les processus d’appartenance. Bien qu’elles aient fait l’objet de critiques – notamment sur leur universalité ou leur empirisme – elles restent essentielles pour penser l’identité dans ses dimensions à la fois personnelles et sociales.
Conclusion
La théorie psychosociale et l’approche constructiviste sociale proposent deux visions complémentaires de l’identité. L’une met l’accent sur les trajectoires individuelles et les crises internes, l’autre sur les influences sociales, culturelles et discursives. Ensemble, elles permettent de mieux appréhender les mécanismes de construction de soi, les enjeux de reconnaissance et les dynamiques de pouvoir. Leur articulation offre un cadre riche pour comprendre les comportements humains dans leur complexité et leur diversité.
Références
Erikson, E. H. (1968). Identity: Youth and crisis. New York: W. W. Norton & Co.
Hall, S. (1996). Who needs “identity”? In S. Hall & P. du Gay (Eds.), Questions of cultural identity (pp. 1–17). London: SAGE Publications.
Marcia, J. E. (1966). Development and validation of ego-identity status. Journal of Personality and Social Psychology, 3(5), 551–558.
Marcia, J. E. (1980). Identity in adolescence. In J. Adelson (Ed.), Handbook of adolescent psychology (pp. 159–187). New York: John Wiley.
Marcia, J. E. (1994). The empirical study of ego identity. In H. Bosma, T. Graafsma, H. Grotevant, & D. de Levita (Eds.), Identity and development: An interdisciplinary approach (pp. 281–321). London: SAGE.
Phoenix, A. (2007). Identities and diversities. In D. Miell, A. Phoenix, & K. Thomas (Eds.), Mapping psychology (2nd ed., pp. 43–95). Milton Keynes: The Open University.