Le leadership au féminin existe-t-il ? Et si oui, quelle serait ses caractéristiques ?
Le leadership est l’art de mener des individus, des êtres humains, collectivement ou individuellement, vers un but donné, quel qu’il soit. Pour mener les individus à le rechercher, on peut recourir à la persuasion ou à la force. Traditionnellement, la force est une qualité supposément masculine, tandis que la persuasion est assimilée aux qualités féminines. Mais cette approche est un peu simple, voire simpliste. Les choses se compliquent si l’on s’intéresse à la psychologie transpersonnelle et à l’identité de genre. Qu’est-ce qu’un homme ou une femme ou plus généralement le masculin ou le féminin ? L’identité de genre peut-elle se limiter à l’apparence physique ? Et l’apparence physique impose-t-elle inconsciemment un certain type de comportements ? Je ne le pense pas. Les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît et un leader, homme ou femme, ne parviendra à diriger ses équipes que s’il a conscience des qualités qu’il possède (ou non), dans un environnement donné. Et posséder telles ou telles qualités – prétendument masculines ou féminines – n’est à mon avis pas lié à un genre, malgré les stéréotypes enseignés depuis longtemps.
Les clichés ont la vie dure. Beaucoup de gens y croient, que ce soit par facilité, par peur ou par refus de remettre en cause l’éducation reçue. Ainsi, une femme serait réceptive, conciliante, émotive – et gare à celle s’éloignerait de cette image toute faite ! Tout comme on oppose le cerveau droit, émotionnel, au cerveau gauche, rationnel, on tend à opposer comportements masculins et féminins. On oublie que tout est dans tout, que nous sommes faits de dualité et de complémentarité : nous sommes tous porteurs de traits dits masculins ou féminins, quelle que soit notre apparence physique. Et je doute que ce soient des qualitatifs habituellement associés à la femme qui viennent à l’esprit du commun des mortels lorsqu’on évoque des leaders tels que Mme Thatcher ou Mme Merkel. De plus en plus souvent, je vois dans mon entourage des hommes assumer les qualités féminines qui composent leurs personnalités, par exemple en prenant en charge des enfants comme le ferait une mère attentionnée.
Alors, peut-on encore parler de leadership au féminin ? Je ne pense pas ! En tous les cas, il ne s’associerait pas à des valeurs attribuées aux femmes car ce qui m’a frappé chez toutes ces femmes leaders que j’ai pu côtoyer – chefs d’entreprise, médecins, politiciennes – c’est qu’elles partageaient la même caractéristique : la rigueur. Rigueur envers elle-même, mais aussi envers les autres. Or, si la rigueur est une force, celle-ci ne s’accompagne pas nécessairement de violence et n’exprime pas forcément la virilité. Les femmes leader savent poser un cadre structurant où les équipes, voire les peuples, peuvent agir et s’organiser vers un but donné. Ce sont des « femmes-matrices ». Mais il existe aussi des « hommes-matrices».
La rigueur serait donc une qualité féminine. Je crois que nous la partageons tous à des degrés divers car elle est essentielle pour établir des liens de confiance. La rigueur est nécessaire aussi bien au leadership basé sur la force que celui basé sur la persuasion. Toutefois, dans un monde comme le nôtre où l’usage de la force s’est transformé car de plus en plus mal accepté, la rigueur est une qualité qui demande du courage. En effet, dans un environnement qui n’est pas menaçant, la facilité pour le leader reviendrait à troquer la rigueur contre la séduction et le compromis et donc de recourir à des valeurs dites féminines. Or, d’après mon expérience, les femmes leaders résistaient à cette tentation, laquelle peut constituer une erreur politique car cela peut déboucher sur un compromis mou.
Je ne pense donc pas que l’on puisse parler de leadership au féminin. Les qualités de leader ne sont pas liées à une identité physique, même si l’expression de ces qualités peut être influencée par cette identité, puisqu’il est souvent plus simple d’agir conformément à ce que l’on attend de nous. D’ailleurs, le leadership s’apprend-t ’il ?. C’est une posture qui résulte d’un ensemble de prédispositions mêlant intérêt pour l’autre (plus que pour soi), goût du risque (par opposition à la quête de sécurité), mais également sens du collectif, endurance notamment à la solitude, volonté, etc. Ce cocktail ne relève pas spécifiquement du féminin ou du masculin, mais de l’essence même d’une personne et de son vécu.
Le féminin ou le masculin ne sont donc pas liés à un aspect physique mais sont porteurs de valeurs universelles auxquelles il est bien difficile de donner un genre.
Elisabeth Carrio