Ce sujet m’a été proposé dans le cadre d’une recherche en psychologie transpersonnelle. Il soulève plusieurs interrogations, dont les réponses peuvent, me semble-t-il, nous aider à avancer sur notre chemin de vie.
Pourquoi ce thème mérite-t-il qu’on s’y attarde ?
Parce qu’il permet de déconstruire certains discours stéréotypés très présents dans les milieux spirituels ou de développement personnel. Or, en psychologie transpersonnelle, il est fondamental de commencer par clarifier les concepts. La quête de sens exige rigueur et discernement.
1. Qu’est-ce que la confiance, et comment la développer ?
Avant d’envisager d’avoir confiance – en soi, en les autres ou en le monde – encore faut-il comprendre de quoi il s’agit. Le mot « confiance » possède en réalité deux acceptions principales : d’un côté, il désigne l’assurance, le courage ou la hardiesse fondée sur la conscience de sa valeur, de ses compétences ; de l’autre, il évoque le fait de se fier à quelqu’un ou à quelque chose d’extérieur à soi.
Étymologiquement, le mot vient du latin cum fides – « avec foi » – ce qui nous renvoie à la notion de croyance. Avoir confiance, c’est croire, c’est accorder du crédit à ce qui n’est pas totalement maîtrisé. Et cette croyance se construit, s’ancre ou vacille, selon notre parcours, notre personnalité, notre éducation et nos expériences de vie. C’est pourquoi la confiance est plurielle : elle peut se nourrir d’une sécurité intérieure, mais aussi d’un ancrage social, ou encore d’une disposition spirituelle.
La confiance ne peut être séparée de la résilience, cette aptitude à se reconstruire après une épreuve. Elle fait partie d’un système de croyances malléable, que l’on peut faire évoluer. C’est un travail qui commence par la conscience de ses croyances limitantes, et peut se poursuivre à travers différentes approches – cognitives, émotionnelles, corporelles ou spirituelles – que j’ai développées dans d’autres articles.
2. Qu’est-ce que l’ego ?
Le mot « ego » (du latin je) est aujourd’hui souvent connoté négativement, assimilé à l’égoïsme ou à l’égocentrisme, ce qui est paradoxal dans nos sociétés individualistes. Il a été popularisé par Freud, qui en a fait une instance structurante de la psyché, même si des penseurs comme Nietzsche avaient déjà exploré cette notion bien avant lui.
Pour ma part, je considère l’ego comme une structure mentale qui nous permet de nous percevoir comme des êtres distincts, cohérents et identifiables. Il contient nos rôles, notre histoire, nos désirs, nos limites, nos peurs. Il constitue le contenant à partir duquel se développe la conscience de soi, et donc la confiance.
Contrairement à certaines injonctions spirituelles qui prônent l’éradication de l’ego, je pense qu’il ne s’agit pas de le dépasser au sens de l’annuler, mais de le consolider afin de pouvoir l’élargir. Le travail consiste à reconnaître nos systèmes de croyances, à les déconstruire pour les reconstruire autrement, dans une perspective plus vaste. C’est un exercice d’alchimie intérieure, où la matière première, c’est nous-mêmes.
3. Comment développer une confiance au-delà de l’ego ?
Interroger nos idéalisations
En psychologie transpersonnelle, parler de confiance au-delà de l’ego revient souvent à aborder notre relation aux savoirs anciens ou aux traditions spirituelles. Or, une des premières dérives consiste à idéaliser les cultures indigènes, comme si elles incarnaient une sagesse originelle, en harmonie parfaite avec la nature. C’est une projection moderne. L’histoire montre que la violence, les conflits et les hiérarchies de pouvoir existaient aussi dans ces sociétés : sacrifices humains chez les Mayas, guerres tribales en Afrique, violences religieuses décrites dans l’Ancien Testament…
Ces sociétés ne faisaient pas exception à la règle universelle de l’instinct de survie : naître, lutter, mourir. L’ego y jouait déjà son rôle : survivre, parfois au détriment de l’autre. La posture de méfiance, voire d’hostilité, était la norme. La confiance ne pouvait exister que dans un cercle restreint. La violence que nous observons encore aujourd’hui s’enracine dans ces mécanismes anciens : elle reflète une posture défensive et archaïque du moi.
Vivons-nous dans un âge rationnel ?
Une autre croyance largement répandue – notamment dans les milieux scientifiques – est que nous vivons dans une époque dominée par la rationalité. Pourtant, nous assistons à une prolifération des pratiques non rationnelles : astrologie, tarot, chamanisme, développement personnel ésotérique… Ce phénomène, souvent amplifié par la perte de repères institutionnels ou religieux, traduit une quête de sens profonde. Mais cette quête, au lieu de renforcer la confiance collective, tend parfois à exacerber l’individualisme, chacun cherchant des réponses à ses blessures dans des croyances très personnelles, rarement remises en question.
Depuis les Lumières, la rationalité a été érigée en norme, souvent au détriment de l’intuition, perçue comme floue, féminine ou inférieure. Pourtant, intuition et pensée analytique cohabitent depuis toujours dans l’être humain. Aujourd’hui, on assiste à un retour en force du subjectif : « suis ton intuition », « écoute ton cœur ». Cela peut paraître libérateur… mais crée un paradoxe : jamais l’individu n’a été autant encouragé à se faire confiance, et pourtant, la confiance collective s’effrite. L’hyper-individualisation mène souvent à l’isolement, voire au narcissisme.
Construire une confiance élargie
Développer une confiance qui dépasse l’ego commence sans doute par une base essentielle : une estime de soi suffisamment solide pour que nous puissions nous sentir en sécurité dans notre propre peau. Mais cette assise intérieure, aussi nécessaire soit-elle, ne suffit pas. Car faire confiance au-delà de soi-même demande une véritable ouverture de conscience, une capacité à aller vers l’autre, vers l’inconnu, vers ce qui n’est pas sous notre contrôle.
Une base psychologique stable
La première condition de cette confiance élargie réside dans une base psychologique stable, souvent construite très tôt dans la vie. Des auteurs comme Erik Erikson, Carl Rogers ou encore Boris Cyrulnik ont montré à quel point le sentiment de sécurité intérieure, développé dès l’enfance, est un socle fondamental. C’est à travers cette confiance de base que l’individu peut s’aventurer hors de lui-même, explorer le monde, prendre des risques relationnels ou existentiels sans se sentir constamment en danger. Quand cette fondation est absente ou fragilisée, chaque incertitude devient une menace, et chaque altérité un obstacle.
Une posture éthique et un environnement sécurisant
Mais la confiance ne repose pas uniquement sur cette sécurité psychologique. Elle implique aussi une posture éthique : un choix, parfois difficile, d’ouverture à l’autre et au monde. Des penseurs comme Paul Ricœur ou Annette Baier insistent sur le fait que la confiance n’est jamais un automatisme. Elle suppose un acte conscient, une décision intérieure de se rendre vulnérable, d’accepter le risque inhérent à toute relation vraie. Faire confiance, ce n’est pas ignorer le danger, c’est choisir d’avancer malgré lui, en acceptant l’incertitude comme partie intégrante de la rencontre humaine.
Cependant, cet effort personnel ne peut porter ses fruits que dans un environnement qui le rend possible. C’est là qu’interviennent les structures collectives, les organisations, les communautés. Selon des auteurs comme Niklas Luhmann, Stephen Covey ou Simon Sinek, les sociétés ou institutions qui réussissent à générer un climat de sécurité psychologique sont celles qui favorisent la coopération, le dialogue et la croissance collective. La confiance ne peut s’épanouir dans des milieux fondés sur la peur, la compétition permanente ou le jugement. Elle demande des espaces où l’on peut s’exprimer sans crainte, expérimenter sans être puni, apprendre sans être humilié.
Une disposition spirituelle
Enfin, il existe une dimension plus difficile à saisir, mais peut-être la plus essentielle : la disposition spirituelle. Faire confiance au-delà de l’ego, c’est aussi faire un pas vers le mystère. Cela suppose de savoir écouter ce qui ne se voit pas, accueillir ce qui surgit sans être prévu, faire de la place à ce que Thich Nhat Hanh ou Pema Chödrön appellent la sagesse du non-savoir. C’est une attitude intérieure d’humilité face à la vie, une forme d’abandon confiant à ce qui nous dépasse. Non pas une soumission passive, mais une écoute active de ce que la vie cherche à nous dire, au-delà des apparences.
Conclusion ouverte : un chemin exigeant et fécond
En somme, bâtir une confiance au-delà de soi-même est un chemin exigeant. Il commence dans l’intime, s’enracine dans l’éthique, s’incarne dans le social, et s’ouvre vers le spirituel. C’est un mouvement à la fois profondément humain et mystérieusement transcendant.
Cette dernière dimension est peut-être la plus importante. Est-ce un chemin réservé à quelques-uns ? Ou est-ce une voie que chacun peut cultiver, à sa manière, à son rythme ?
C’est une question que je vous laisse en partage… et que nous pourrons explorer ensemble dans de prochains articles.