Encore un nouveau courant venu des États-Unis, cette fois dans le domaine du management des organisations. Et pourtant, ce courant s’appuie sur des principes millénaires et une question fondamentale :
Comment réconcilier intuition et rationalité ?
Comment prendre des décisions prospectives en s’appuyant sur la méditation plutôt que sur l’action immédiate ?
Il est étonnant qu’il ait fallu tant de temps pour que l’intuition soit reconnue comme un outil de management à part entière, alors qu’elle a longtemps été reléguée au second plan au profit d’une rationalité méfiante. C’est précisément ce que propose la théorie U, développée par Otto Scharmer.
Ce modèle parle de l’émergence du futur, de dirigeants à l’écoute de leur voix intérieure, de créativité libérée par la présence à soi-même. Un souffle nouveau dans le monde du management.
Deux modèles de prise de décision
La théorie U distingue deux grands schémas décisionnels :
Le modèle classique, enseigné dans la plupart des universités : j’agis, j’observe, je réfléchis, je planifie… puis j’agis à nouveau. Il s’appuie sur le passé, les expériences vécues, et sur leur modélisation.
Le modèle émergent, révolutionnaire : j’écoute, puis j’agis. Ici, l’écoute précède et guide l’action. C’est une inversion radicale de notre logique habituelle – et une profonde transformation de notre manière de gérer le changement.
Quatre niveaux de réponse au changement
Pour Scharmer, manager, c’est gérer le changement. Il identifie quatre niveaux de réponse :
Réaction immédiate : réponse rapide à une situation nouvelle.
Réorganisation : reformulation des règles, reconfiguration des processus et des structures.
Réévaluation des croyances : remise en cause des valeurs, adaptation des référentiels culturels et mentaux.
Connexion à la source : retour à l’énergie primordiale, à l’inspiration fondatrice de l’organisation, à ce souffle qui a porté son succès initial.
Toute organisation, comme tout organisme vivant, suit une courbe : naissance, croissance, maturité… puis déclin, à moins qu’une nouvelle inspiration – souvent collective – ne relance un nouveau cycle. Cette source d’inspiration ne réside pas seulement dans l’esprit du leader, aussi brillant soit-il, mais dans « l’air du temps », tel un égrégore auquel il faut se reconnecter.
Le “trou noir du leadership”
Comment retrouver cette source ?
En retournant en nous-mêmes. En écoutant notre voix intérieure – qu’on appelle parfois intuition, parfois inspiration. Otto Scharmer parle du « trou noir du leadership » : un espace invisible, mystérieux, comme un centre gravitationnel d’où émerge une énergie créatrice. Impossible à observer directement, mais fondamental pour accéder à l’information originelle. Cette in-formation, comme le dit Ervin Laszlo, philosophe des sciences, serait à la racine même du réel, aux côtés de la matière et de l’énergie.
La symbolique du U
Le U illustre ce processus :
La descente : observer, encore et encore.
La base du U : se reconnecter à soi, à la source.
La remontée : agir à partir de cette connexion nouvelle, dans une dynamique inspirée et alignée.
Scharmer détaille ce processus dans son ouvrage et l’illustre par de nombreux exemples d’organisations, publiques ou privées, qui ont expérimenté cette approche avec succès.
Une mutation sociétale en cours
Ce modèle propose un changement de paradigme :
Du management fondé sur la domination, la rationalité et la performance, à un management centré sur l’écoute, l’intuition, la collaboration et la présence.
Il traduit une évolution des valeurs, passant du masculin conquérant (l’animus) au féminin intuitif (l’anima). Une ouverture de l’intelligence, du cœur et du désir, où l’expression de ce que l’on ressent devient légitime et féconde.
Conclusion : un champ élargi de conscience
L’apport fondamental de la théorie U est de nous autoriser à élargir notre champ de conscience dans un domaine – le management – qui s’est longtemps méfié de l’invisible, du sensible, et de l’intuitif. Elle remet en cause les modèles hiérarchiques pour ouvrir la voie à des structures plus collaboratives, vivantes et agiles. Mais cela suppose un vrai changement intérieur : accepter d’écouter, de se transformer, et de faire confiance à l’émergence.