Changer le monde ou soi-même?

Je viens de suivre une conférence sur Aurobindo en Californie, ce type de conférence qui fait du bien à l’âme. Il y était question de conscience intégrale et de pollinisation entre l\’Europe et l\’Inde. On y parlait de mathématiques de l’infini. On y parlait aussi d\’une autre civilisation, celle dans laquelle nous vivons étant vouée à l\’échec. Il s’agissait de donner naissance à une civilisation contemplative dans laquelle nous ne possédons pas la terre mais nous appartenons à la terre- mère. Ce qui était proposé était un yoga de la civilisation, un état utopique qui transcende  le pluralisme.

Pour atteindre ce niveau de civilisation, il faut travailler sur soi et découvrir les différents niveaux d’identité, se dépouiller des identités qui ne nous correspondent plus pour arriver à l’essence de nous-mêmes. Alors nous découvrirons que non seulement nous sommes tous interconnectés mais que nous sommes l’autre. Nous ne ferons plus qu’un entre soi-même et les autres.

Les idées étaient belles et transmises par des hommes (en écrasante majorité) éduqués, appartenant au monde universitaire.

Toutefois, à quelques pas de là, j\’avais observé autour de l’école que de nombreux sans-abris vivaient là où plutôt survivaient dans la misère et la drogue. Mais il n\’en fut pas question ce jour-là. Des orateurs nous disaient qu\’il fallait se changer soi-même et ne pas essayer de changer les autres. Ils ont employé de grands mots comme subjectivisme, spiritualité, interconnexion avec l\’autre avec l\’univers ou avec Dieu, autant de termes qu\’il aurait fallu définir, des mots qui leur permettait de se reconnaître entre eux.

Ils se distanciaient ainsi du monde et de ses malheurs, adoptant une posture confortable et assurée. Ils étaient du côté des sachant, des riches, de ceux qui sont reconnus. Comment réconciliaient-ils leurs discours idéalistes et utopiques avec la réalité immédiate.

Ils parlaient du mal au travers de l\’histoire d’Hitler comme si cela était extérieur à eux-mêmes, oubliant que nous portons tous le mal en nous comme le confirme l’histoire de l’humanité. Le mal n\’est pas extérieur à nous-mêmes ; il ne peut pas être représenté par un bouc émissaire car nous le portons en nous. Et c’est à force de travail sur soi que nous le domestiquons. Trouver ce bouc émissaire revient à tenter de s\’exonérer de toute responsabilité.

La pauvreté aussi, qu’elle soit intellectuelle, émotionnelle, spirituelle ou matérielle, nous touche tous. Bien sûr nous ne voulons pas la voir et nous changeons de trottoir quand nous voyons ces miséreux à quelques pas de nous. Nous préférons nous réfugier dans nos vies, nos idées, nos certitudes et nos conférences sur un monde meilleur, comme celui décrit par Aurobindo et Mère et accuser les politiciens de ne rien faire. Mais nous, mais moi, qu’est-ce que faisons-nous? Quel est notre rôle ou notre responsabilité dans cet état de fait ?

Je suis donc sortie avec un sentiment mitigé de cette conférence. Bien sûr il est important de se connaître et de connaître la mission qui nous est assignée. Mais cela ne suffit pas, ne suffit plus dans un monde où l’accès à l’information est permanent et où il est difficile de dire qu’on ne savait pas . Il est important d’ agir, de ne pas détourner les yeux, de ne pas faire semblant et ne pas laisser à un Dieu hypothétique la tâche d\’améliorer le sort les plus pauvres sous prétexte que nous sommes maudits depuis la chute d’Adam et Eve ou que les pauvres ou le mal nous enseignent des choses sur nous-mêmes. Ils sont nous-mêmes.

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