Chapitre 3 La conscience expliquée

Chapitre 3 La conscience expliquée

Dans l’introduction, nous avons noté que les études contemporaines sur la conscience étaient multidisciplinaires et s’appuyaient sur des recherches en psychologie cognitive, en neurosciences ou en philosophie. Ces différentes disciplines amènent à se poser des questions tout à fait différentes tout comme les réponses apportées seront diverses. Ainsi, les psychologues cognitifs considèrent les processus mentaux comme des outils de traitement de l’information permettant de l’enregistrer, la stocker, la transformer et la restituer. Une étude comme celle de la mémoire, par exemple peut être vue comme l’observation d’un processus de traitement de l’information qui irait de l’encodage, au stockage et la restitution des mémoires. La psychologique cognitive s’intéresse surtout à l’analyse fonctionnelle et non à la façon dont les processus mentaux sont physiquement réalisés dans le cerveau. À l’inverse la psychologie biologique s’intéresse à la façon dont ces fonctions sont physiquement réalisées au niveau biologique cérébral ou corporel. Ils peuvent aussi étudier des questions comme la cause évolutive d’un processus mental ou comment la biologie influence les processus, avec les dommages au cerveau ou le développement de la personne par exemple. Quant au philosophes, ils se demandent si la conceptualisation d’une fonction mentale et appropriée. Ils peuvent développer des arguments et les tester au travers d’expérimentations de façon à examiner la cohérence d’une conceptualisation. Ils peuvent tirer des conclusions d’un point de vue, peut-être en démontrant qu’une position conduit à des prédictions contre intuitives ou incorrectes. Les philosophes peuvent aussi s’intéresser à la pertinence, ou non, d’explications existantes.

Les différentes approches impliquent différents critères d’évaluation. Là où la psychologie cognitive et biologiques font des hypothèses empiriques au sujet de la conscience, du cerveau et du comportement, les philosophes soutiennent que certains modes de théorisation et conceptualisation sont plus appropriées que d’autres. Les hypothèses des psychologues cognitifs et biologiques peuvent être ainsi examinées empiriquement, c’est-à-dire que les hypothèses sont étudiées par la collecte de nouvelles données empiriques. Si les données contredisent ou ne confirment pas les hypothèses, nous pouvons conclure que les hypothèses ont besoin d’être modifiées. Les études philosophiques se font à partir d’arguments et de conjectures logiques et au travers d’études de plusieurs scénarii possibles tels que les expérimentations de pensée dont nous avons déjà parlé. Naturellement ceci est une image simplifiée. Les psychologues font souvent des hypothèses qui ne sont pas empiriques– dans le cas où il serait impossible de collecter des données qui pourraient décider si une hypothèse est vraie ou fausse–tout comme les philosophes font souvent les hypothèses empiriques. C’est pourquoi les frontières entre les deux disciplines sont beaucoup plus poreuses que cela semble à première vue.

Vous pourriez vous demander pourquoi il y a tant de disciplines différentes, des institutions différentes, autant de conférences, journaux, livres ou financements qui s’intéressent à la question de la conscience. Pour trouver une réponse, il faut se rappeler le contexte historique et politique de ces entreprises intellectuelles, mais il y a également des raisons pratiques. D’une part cela prend énormément de temps d’étudier toute la littérature sur un sujet particulier, surtout pour un seul individu qui essaie d’approcher un problème sous différentes perspectives.  D’autre part, l’étude de la conscience est devenue multidisciplinaire parce que les chercheurs ont finalement compris que les problèmes posés par l’étude de de la conscience ont plusieurs facettes.

Les psychologues cognitifs ont fait des progrès dans la compréhension des processus mentaux, bien que toutefois les exemples que j’ai donnés montrent que son rôle dans le traitement d’information n’est pas très clair. Peut-être le plus perturbant est le problème du support physique de la conscience, problème récurrent depuis Descartes. Si Descartes avait raison en suggérant que l’esprit a une constitution fondamentalement différente du reste de l’univers physique, alors la conscience apparaît comme étant en dehors de toute explication scientifique. À notre époque de progrès scientifiques étonnants, des observations comme celle-ci ont encouragé les chercheurs de différentes disciplines à travailler ensemble pour une compréhension unifiée de la conscience.

Ce chapitre essaie de montrer quelles pourrait être les ingrédients d’une explication unifiée de la conscience. Bien que d’autres perspectives aideront plus tard à compléter notre compréhension de la conscience, beaucoup de progrès constatés ont déjà été faits en reliant les vues des psychologues cognitifs, des neurologistes et des philosophes. Tous avancent être capables d’expliquer un large spectre de données empiriques. Toutefois il est clair que c’est notre compréhension théorique de la conscience, plutôt qu’une carence de données empiriques, qui doit faire l’objet de toute notre attention. C’est pourquoi ce chapitre s’intéresse surtout sur la description théorique de la conscience qui émerge de ces études plutôt que la façon dont celles-ci expliquent des données empiriques.

Nous étudierons donc quelques approches philosophiques. Nous nous intéresserons aussi à la façon dont ces différentes perspectives se relient les unes aux autres. Il y a évidemment d’autres vues que celles développées par la psychologie, la biologie ou la philosophie. Tout comme il existe différentes théories en psychologie ayant des liens particuliers entre eux (complémentarité, coexistence etc.), il est probable que les disciplines que nous allons étudier n’ont pas une relation unique entre elles. Une approche philosophique particulière, par exemple, peut venir en complément de telle approche cognitive alors qu’une autre vision entrerait en conflit avec. C’est pourquoi j’utiliserai quelques caractéristiques de ces théories à titre d’exemples afin d’adopter une approche multidisciplinaire de la conscience et de se faire une idée sur la façon dont la psychologie se relie aux autres disciplines.

La perspective cognitive : la théorie de l’espace de travail global

Bernard Baars (1988) a proposé une théorie cognitive de la conscience dans laquelle la conscience apparaîtrait suite à l’interconnexion entre un certain nombre de processus cognitifs, tels que la perception, l’attention, le langage et la mémoire. L’essence de la théorie de Baars est que la conscience suppose un espace de travail commun qui peut recevoir un certain nombre de données provenant de nombreux processeurs spécialisés, lesquels opèrent de façon non consciente. Il y a des limites à cet espace de travail, mais tout ce qui y est stocké surgit à notre conscience. Les contenus de la conscience correspondent alors à ce qui existe dans l’espace de travail. Le modèle de Baars contient un certain nombre d’éléments de base :

  • des processeurs entrant spécialisés. Ceux-ci traitent l’information de façon non consciente et en parallèle. Chaque processeur est dédié à un genre particulier d’information. Par exemple certains sont dédiés à la perception, d’autres au langage, etc. Chaque processeur traite l’information de façon efficace, mais seulement dans son domaine.
  • Un espace de travail global. Tout ce qui apparaît dans cet espace de travail est dans la conscience. L’espace de travail ressemblerait à un tableau sur un site Internet ou dans une classe. C’est un lieu où différents processeurs non conscients peuvent ’écrire’ les résultats de leur traitement, et ainsi communiquer et partager l’information avec d’autres processeurs. Cette communication permettrait un certain degré de de coordination et de coopération entre les différents processeurs. Toutefois seulement un petit nombre de messages peuvent apparaître dans l’espace de travail à un moment donné car cet espace est limité en termes de capacité. Les messages multiples ne peuvent seulement afficher que séquentiellement, à la fois. Certains auront besoin d’être effacés pour que d’autres puissent être affichés.
  • Des processeurs sortants spécialisés. L’information stockée dans l’espace de travail global peut être envoyée à des processeurs sortants spécialisés. Ainsi, les contenus de l’espace de travail global peuvent changer la façon dont les processeurs traitent l’information. À noter toutefois que l’espace de travail n’est pas actif. Il ne dirige pas le traitement de l’information. L’espace de travail serait plutôt une mémoire ou les différents processeurs sortants peuvent trouver l’information. Ces processeurs sortants sont aussi spécialisés, efficaces en termes de traitement de l’information et opèrent en parallèle.

Les composants du modèle de Baars ont des caractéristiques qui sont les suivantes :

  • L’inefficacité computationnelle se réfère au fait que les processus de la conscience sont incapables de réaliser des calcul très importants ou très complexes. La plupart d’entre nous, par exemple, trouvera difficile de réaliser de longues divisions de tête. Nos processus visuels sont capables de réaliser des opérations beaucoup plus complexes à partir des images qui s’imprègnent sur notre rétine.
  • La conscience possède un large éventail de contenus possibles. Je peux à la fois être consciente de mon emploi du temps de demain, du bourdonnement d’une abeille devant ma fenêtre et de l’exécution d’un plat culinaire consciemment. Il semble qu’il n’y ait pas de limites aux sortes de choses dont notre conscience peut s’occuper. A contrario, nos processus non conscients paraissent très spécifiques en termes de contenus sur lesquels ils opèrent. Quel que soit les processus à notre disposition pour analyser un stimulus visuel, il est probable qu’ils ne soient dédiés qu’à cette tâche. Il est improbable qu’ils soient impliqués dans le processus de traitement d’informations provenant d’autres sens ou qu’ils interviennent dans autre chose que la vision, comme régler un problème physique par exemple. Les processeurs non conscients sont des modules qui opèrent seulement en relation avec un type d’informations spécialisés : le module de perception visuelle traitera seulement des informations visuelles entrantes.
  • Il semble que la conscience doit être cohérente, contrairement aux processeurs non conscients qui, quant à eux, peuvent obtenir des résultats mutuellement inconciliables. Par exemple, comme pour les deux interprétations possibles du cube de Necker, les processus non conscients de la perception visuelles peuvent produire des résultats conflictuels : Difficile en effet de repérer quels points définissent l’avant du cube. Ainsi la conscience aurait besoin que ces inconsistances soient résolus : en toute conscience, nous sommes obligés de ‘voir’ le cube seulement d’une seule façon à la fois.
  • La conscience opérerait de façon séquentielle tandis que les processeurs non conscients fonctionnent de manière simultanée ou en parallèle. Tout se passe comme si la conscience peut être dirigée seulement vers un ou quelques éléments à la fois. Bien qu’elle puisse être dirigée vers plusieurs différentes choses, ceci doit être fait séquentiellement sur une courte période de temps.

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L’image ci-dessus montre comment différents processeurs interagissent via l’espace de travail global. Les processeurs spécialisés opèrent en parallèle, de façon relativement indépendante et chacun dans un domaine particulier. Chaque processeur présente de l’information à cet espace de travail global. Toutefois toute l’information qui entre dans cet espace doit être consistante. Si différents processeurs présentent des informations concurrentielles, ils ne pourront pas entrer dans l’espace de travail. De plus, une contrainte existe quant à la quantité d’informations qui peut être stockée dans cet espace. S’il est saturé, des informations additionnelles peuvent être ajoutées seulement en effaçant d’autres informations.

Une fois l’information stockée dans l’espace de travail, elle est alors globalement envoyée vers les processeurs spécialisés et peut ainsi influencer leur comportement. Baars compare cette diffusion de l’information au travail d’un comité où les individus se réunissent pour trouver la solution à un problème qu’ils ne peuvent pas résoudre tout seul. Ainsi la diffusion de l’information renforce la coopération entre des processeurs indépendants.

Cette théorie est présentée comme un moyen de concilier différents concepts ou métaphores très différentes. L’un d’entre eux est l’activation : Des chercheurs ont pensé que la conscience impliquait certains aspects de l’esprit, tels que la mémoire ou la perception, qui deviendraient plus actifs que d’autres, éventuellement au-delà d’un certain seuil ; seuls les éléments plus actifs que ce seuil deviendraient conscients. Cette théorie s’inspire des études sur la perception et la mémoire qui reposent sur le concept d’activation.

Un second concept est la nouveauté : la conscience serait aussi nécessaire pour s’approprier de nouveaux objets ou réagir à des situations nouvelles. Les processus non conscients opèrent de façon rigide et fixe ; si cela est parfait pour des situations très prédictibles, la réussite d’un organisme face à des situations ou des objets nouveaux dépendra de sa capacité à identifier des comportements originaux et appropriés. La conscience a souvent été vu comme le premier moyen par lequel cela peut être fait.

Un troisième concept soutenant la théorie de Baars est celui des processus non conscients : les psychologues ont accumulé un nombre important de preuves sur les opérations effectuées par les processus non conscients comme la perception, le langage ou la mémoire.

La théorie de Baars nous aide à expliquer les différents aspects de la conscience. Nous pouvons voir de façon assez simple comment cette théorie permet d’expliquer le phénomène d’accès à la conscience : Des processeurs spécialisés traitent une information entrante à partir de nos différents sens ; si cette information sensorielle est cohérente avec l’information détenues par d’autres processeurs, cette information sera stockée dans l’espace de travail global, en d’autres termes, elle deviendra consciente. Nous pouvons ainsi comprendre comment la perception peut amener à une prise de conscience : Des processeurs perceptuels spécialisés traiteraient une information sensorielle et éventuellement, cette information serait stockée dans l’espace de travail global. La diffusion de la même information vers d’autres processeurs permettrait alors à cette information perceptuelle d’être traitée de façon complémentaire, peut-être par un processeur du langage, de telle sorte que la perception pourra être communiqué à d’autres processus de traitement.

La fonction « contrôle par la conscience » (monitoring consciousness) peut être expliquée de la même façon. Des processeurs spécialisés qui guident l’action, par exemple, peuvent envoyer leurs résultats à l’espace de travail. Pour autant qu’il n’y a pas de messages contradictoires reçus d’autres processeurs, ces résultats peuvent être diffusés. La diffusion peut être suffisante pour assurer que tout traitement additionnel nécessaire à la réalisation d’une séquence complexe d’actions se produise. Dans le cadre des erreurs relevées par Reason, il est possible qu’à un moment critique de l’action il y ait trop de messages concurrentiels voulant entrer dans l’espace de travail global ; ou il est possible également que le message critique soit trop faible pour dépasser le seuil.

Baars affina son modèle en montrant comment les différents sens du Moi peuvent y être incorporée de telle sorte que des aspects de la conscience de Soi peuvent être expliqués. Toutefois il semble que son explication de la conscience phénoménale ne soit pas très claire : Comment par exemple l’information sur le goût transmis par un processeur spécialisé à l’espace de travail, puis diffusée pourrait expliquer à quoi le goût du café ressemble. Comment un sentiment ou une expérience peut surgir de ce processus ? Baars ne fournit pas vraiment de réponse, et en son absence, nous pouvons conclure que la théorie de Baars n’explique pas à la conscience phénoménale.

Approche biologique : la conscience principale et étendue

Antonio Damasio a élaboré une théorie de la conscience à partir de de la compréhension des humains comme organismes biologique. Damasio propose trois types distincts du Moi qui expliqueraient les différents types de conscience. En premier lieu, il y a ce que Damasio appelle le proto self. Pour Damasio, notre proto self est ce qui nous donne un sens de la stabilité, le sentiment que malgré les changements, nous restons une même entité. William James développa cette face de la conscience. Il voyait la conscience en termes de tension entre ce qui apparaît être un courant de flux continu et un sens invariant du Moi qui expérimente ce changement permanent. Bien que notre expérience consciente puisse changer radicalement d’un moment à l’autre, notre sens du Moi, quant à lui, ne change jamais. Damasio propose que ce sens de l’instabilité s’explique par l’invariance de l’organisation et de la structure de nos corps. Bien que nos corps changent de façon importante au cours de notre vie,’ le design de nos corps reste globalement inchangé’ (Damasio, 1999). Les os, les muscles, les organes, tous exécutent une fonction donnée, heure par heure, année par année. De plus le corps possède des mécanismes par lesquels la stabilité est renforcée. Nous retrouvons ici la notion d’homéostasie qui est la tendance à certains paramètres du corps à rester stable grâce à des mécanismes qui restaurent les paramètres à leur valeur normale lorsque ceux-ci en dévient. Par exemple, la température du corps est régulée. Quand nous avons trop froid, Nous agissons, par exemple, en allumant le chauffage ou en nous habillant chaudement. Quelquefois le besoin de restaurer les paramètres corporels à leur niveau normal stable peut envahir notre conscience comme de ne penser à rien d’autre qu’avoir chaud.

Le cerveau contient ce que nous pourrions appeler des mécanismes somato-sensoriels ; ces mécanismes permettent au cerveau de recevoir des informations de différentes parties du corps et ainsi de maintenir ainsi une image globale de l’état corporel. Pour Damasio, le proto self est une collection des représentations cérébrales du corps et ainsi préfigure ‘ l’état de la structure physique de notre organisme’. (Damasio, 1999).

Le proto self n’est pas accessible à la conscience mais, comme nous l’avons vu, il en constitue le précurseur. Le proto self serait ainsi une représentation neuronale de l’état du corps. Parce que non conscient, toutefois, nous ne devons pas le confondre avec d’autres types de conscience étudiés précédemment.

Pour Damasio, la conscience surgit de la relation entre deux sortes de modèles neuronaux. Pour lui, il y aurait des modèles neuronaux dans le cerveau qui représenteraient l’organisme, des représentations organiques qui comme nous l’avons vu, sont décrits comme des proto selfs. Il pense aussi qu’il y a des modèles neuronaux qui représentent le monde extérieur : des représentations externes produites par des mécanismes perceptuels. Parce qu’il s’agit de représentations de type d’objets, Damasio les appelle des représentations de premier niveau. Le Moi principal surgit alors d’une autre série de modèles neuronaux. Cette série de modèles représente la relation entre les deux représentations de premier niveau. Damasio les appelle des représentations de second niveau ; il aurait pu les appeler des méta représentations. Ces modèles de second niveau représentent ainsi les changements dans le proto self qui surviennent lors de la formation de représentations externes. Les représentations externes incluraient des informations sensorimoteur (représentant, par exemple, différentes actions de l’objet) et leur formation amène des changements dans les représentations de l’organisme, c’est-à-dire le proto self.

Bien que technique, l’approche de Damasio peut sembler simpliste. Supposez que nous voyons une balle arriver vers nous à une certaine vitesse. Un processus perceptuel de la balle prend place, de telle sorte que des représentations du monde extérieur se forment. En particulier, le monde est représenté comme incluant une balle se dirigeant vers le corps. Comme résultat de cette représentation, des changements corporels surviennent. Cela peut amener à la préparation à une action appropriée. Les muscles peuvent commencer à se contracter, par exemple. Parce que notre corps commence à changer, le proto self change en parallèle, puisque le proto self représente l’état du corps. Pour Damasio, la conscience principale intervient dans la représentation de la relation entre ces changements corporels et les représentations du monde externes. Les modèles de second niveau qui représentent ces relations capturent quelque chose de la relation entre le corps et son environnement.

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Enfin, Damasio pense qu’il y a un self autobiographique et une conscience étendue, conséquence du stockage à long terme des contenus de la conscience principale. L’organisme posséderait un sens étendu du Moi, se développant pendant toute la durée d’une vie, via des projets et des attentes, anticipant le futur. Quand ces contenus stockés sont amenés à la conscience principale en même temps qu’une représentation d’un objet particulier, alors la conscience étendue agit. Cela nous permet de penser à un objet non seulement en termes d’ici et maintenant, mais aussi dans un contexte plus large. Cette notion de self autobiographique nous renvoie aux études sur la mémoire autobiographique et sur l’identité.

Il y a un certain nombre de caractéristiques frappantes dans la théorie de Damasio. Son approche de la conscience principale nous aide à comprendre pourquoi les objets de notre environnement semblent commander nos prises de conscience. Si la conscience principale est constituée par des représentations sur la façon dont l’organisme change en réponse aux objets de l’environnement, alors cette prédominance est moins surprenante.

La théorie de Damasio offre aussi une explication de la conscience phénoménale. Peut-être le ‘feeling’ (sentiment diffus ou impression) associé à la conscience est dû au changement du proto self, ou au ‘feeling’ de comment nos représentations corporelles changent avec l’expérience perceptuelle. La notion de conscience étendue permet de comprendre la conscience de Soi.

Cette théorie offre aussi une explication sur les points de vue divergents de la conscience de Williams James. Les modèles neuronaux qui constituent notre conscience principale sont, par nature, évolutifs : ils changent avec le changement de perception du monde extérieur par l’organisme. Une séquence de tels modèles forme un flux continu et changeant de façon permanente, comme suggéré par James. Toutefois, le self autobiographique qui est basé sur le stockage à long terme des informations concernant l’histoire de l’organisme, fournit un sentiment stable du Moi.

La théorie de Damasio est aussi renforcée par beaucoup d’observations neuropsychologiques. Des patients avec différentes sortes de désordres semblent agir conformément aux schémas descriptifs de la conscience faits par Damasio. Il explique ainsi l’amnésie, l’anosognosie et l’asomatognosie comme désordres du Self autobiographique. L’automatisme est aussi expliqué en termes de désordre de la conscience principale. Enfin, Damasio élabora des propositions détaillées sur la façon dont ses différents composants de la conscience sont physiquement existants dans différentes régions du cerveau.

Malgré ces points positifs, il y a une difficulté évidente. Nous avons déjà parlé du problème de la relation entre la conscience et la matière physique. Bien que Damasio ait tenté de résoudre ce problème, un examen plus détaillé de sa théorie montre qu’il n’en est rien. Damasio dit que la conscience principale surgit de la relation entre les représentations de l’organisme est représentation du monde extérieur. Toutefois il ne nous dit rien sur la façon dont ceci arrive. Comment un sentiment (feeling) ou une expérience surgit-elle de ces représentations ? Tout se passe comme si à un moment crucial de l’explication théorique, au moment où nous avons l’impression que nous allons enfin comprendre comment la conscience réellement survient, on nous dit alors que ‘cela émerge quelque part de ses représentations’. Ceci n’est évidemment pas une explication valide. Bien que présentée comme théorie de la conscience, en fait cette théorie ne résout pas le cœur du sujet. Elle devrait plutôt être présentée comme une théorie sur la conscience de Soi, sur la fonction de pilotage de la conscience ou sur l’accès à la conscience mais non comme une explication de la conscience phénoménale. En fait ceci Damasio en est conscient lorsqu’il dit : « Je suis ouvert aux critiques qui me disent que je m’intéresse seulement au problème de ce qu’on nomme la conscience de Soi et que je laisse de côté les autres aspects du problème. » (Damasio, 1999). Malheureusement sans une explication sur la façon dont la conscience surgit de représentations, ces critiques semblent valides.

 

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